Un entretien premonitoire sur l'avenir du Monde arabe


par Brigitte Ades Brigitte Panah-Izadi - Samedi 10 Octobre 1992

Entretien avec David Pryce-Jones

Brigitte Adès - Huit mois après la fin de la guerre du Golfe, qu'est-il advenu du « nouvel ordre international» annoncé à grand fracas par les Américains?
David Pryce-Jones - Une fois encore, les Occidentaux ont répété les erreurs qu'ils commettent depuis plus de cent ans au Moyen-Orient. En refusant de marcher sur Bagdad pour ren¬verser Saddam Hussein, George Bush s'est comporté plutôt en policier qu'en juge. En fait de nouvel ordre, il n'a laissé derrière lui que le chaos. Et la région reste ce qu'elle a toujours été: une mosaïque de tribus rivales.
B. A. - Pour les Américains, en quoi consistait ce nouvel ordre
international?
D. P.-J. - Dans leur esprit, il s'agissait de substituer à l'injustice et à la tyrannie qui règnent dans la plupart des pays arabes un système démocratique fondé sur l'égalité, la justice, la loi et l'ordre. Au lieu de cela, nous nous trouvons dans une situation absurde: en fin de compte, nous avons fait la guerre pour réinstaller au Koweït un régime envers lequel nous n'éprouvons que peu de sympathie. Cela dit, nous sommes maintenant en meilleure position pour faire pression sur la famille royale afin qu'elle accepte des changements auxquels elle se refusait jusqu'alors.
B. A. - Mais les États-Unis n'avaient-ils pas clairement affirmé, dès le début de la crise, que leur but n'était pas la destruction de l'Irak?
D. P.-J. - Les Américains n'ont jamais compris la mentalité arabe: ils interprètent les réactions des peuples étrangers en fonction de leurs propres critères. Pour eux, les Arabes sont des démocrates comme vous et moi, et qui, par le plus grand des hasards, portent des keffiehs sur la tête. Ils sont convaincus, dans leur naïveté, qu'il suffit de leur ôter leurs keffiehs pour en faire des Américains! La réalité est, malheureusement, un peu plus compliquée ...
Autrefois, lorsqu'un pacha de Bagdad se rebellait, le sultan ottoman envoyait ses troupes pour le pendre haut et court. Or le président Bush se trouvait exactement dans la position du Sultan. Il a chargé « Schwarzkopf Pacha» de châtier Saddam le rebelle. Pourquoi donc, alors même qu'il avait arrêté l'armée irakienne dans le passage du Mutla, Schwarzkopf Pacha n'est-il pas allé, en personne, chercher le vaincu et ne l'a-t-il pas pendu haut et court comme la tradition l'exigeait? Voilà la question que se posent tous les Arabes.
B. A. - Mais l'essentiel n'est-il pas que Saddam Hussein soit
désormais hors d'état de nuire?
D. P.-J. - Pour le moment, vous avez raison, il est neutralisé. Mais combien de temps le restera-t-il? Sadd am doit se réveiller chaque matin en réfléchissant à la manière dont il va se venger. N'oubliez pas que, même s'il a perdu la guerre, il demeure le maître absolu du pays, et qu'il menace les chiites et les Kurdes. Demain, lorsque l'Irak sera reconstruit, il cherchera à s'en prendre aux Occidentaux. A moins qu'il ne soit assassiné entre-temps.
B. A. - Sa vie est-elle réellement en danger?
D. P.-J. - Il a tellement humilié son pays que tous les Irakiens veulent s'en- débarrasser. Mais il faudrait, pour cela, qu'éclate une révolution de palais. Or Saddam Hussein est protégé par 15 000 gardes, et il surveille son entourage de près. Très habilement, il s'est arrangé pour impliquer dans ses crimes la totalité de ses proches. Il les entraînerait donc fatalement dans sa chute - une perspective qui a de quoi refroidir les ardeurs de n'importe quel apprenti justicier. De plus, personne ne l'éliminera avant qu'il n'ait réglé les problèmes chiite et kurde. Le calcul est simple: laisser Saddam achever le « sale boulot» et, ensuite, le renverser. Il ne faut se faire aucune illusion: celui qui remplacera Sadd am sera de la même trempe...


B. A. - Qu'auraient dû faire les Occidentaux?
D. P.-J. - Selon moi, le seul moyen de briser cette spirale infernale de la tyrannie, de la cruauté et de l'injustice est d'ouvrir la voie vers le pluralisme et la démocratie. Je vous l'ai dit: il aurait fallu que les Américains occupent Bagdad et libèrent le peuple irakien, comme celui-ci le souhaitait. Si nous avions installé une commission militaire en Irak et clamé haut et fort notre détermination à instaurer un régime démocratique, ne me dites pas qu'il n'y aurait eu aucun Irakien pour nous soutenir! Croyez-moi: ils auraient été des milliers à coopérer avec nous! Ce serait mépriser totalement le peuple irakien que de penser le contraire. Je connais de nombreux Irakiens, très intelligents, qui vivent dans leur pays ou en exil, et qui feraient d'excellents ministres ou chefs de gouvernement. Il aurait fallu se tourner vers ces groupes d'opposition, les consulter et mettre en place avec eux des institutions démocratiques adaptées à la réalité irakienne. Je suis persuadé qu'il est possible de faire coexister en paix les Kurdes, les chiites et les sunnites, au sein d'une structure fédérale ou confédérale.
B. A. - Pourquoi ne l'avons-nous pas fait?
D. P.-J. - A cela, il y a deux interprétations possibles. La première: les Occidentaux sont des cyniques et ils ont préféré laisser les Irakiens s'entre-tuer plutôt que d'avoir à régler eux-mêmes des conflits internes. La deuxième: ils ont, au contraire, péché par excès d'humanisme et n'ont pas voulu leur imposer leur propre système de valeurs, sous prétexte que chaque culture et que chaque structure sociale mérite d'être protégée. Il y a sans doute un peu des deux.
En tout cas, l'Histoire se répète puisque nous nous sommes comportés exactement comme en 1918. A cette époque, les Britanniques, qui avaient créé une commission militaire chargée de démocratiser l'Irak, ont abandonné la partie à la première difficulté. Résultat: ils ont accordé à l'Irak son indépendance à un moment où le pays était totalement incapable de l'assumer, condamnant ainsi les Irakiens à soixante ans d'enfer. L'avenir dira si notre faiblesse actuelle aura des conséquences aussi désastreuses. En attendant, nous laissons derrière nous un sacré désordre!


B. A. - Est-il encore temps de limiter les dégâts?
D. P.-J. - Hélas! on ne peut pas faire grand-chose, si ce n'est maintenir les sanctions contre l'Irak le plus longtemps possible afin de montrer que l'Occident refuse de traiter avec un tyran comme Saddam Hussein.
B. A. - Mais les premières victimes de ces sanctions ne ris¬quent-elles pas d'être les Irakiens eux-mêmes plutôt que leurs dirigeants?
D. P.-J. - Saddam fait payer à son malheureux peuple le prix de ses erreurs. C'est injuste. Mais il est primordial de marquer notre réprobation. Tant qu'il ne s'est pas débarrassé de son dictateur, l'Irak ne doit pas faire partie de la commu¬nauté des nations. Ne serait-ce que pour empêcher les opinions arabes de croire en l'hypothèse d'une conspiration occidentale qui viserait à maintenir à tout prix Saddam au pouvoir.
B. A. - Pensez-vous que la guerre du Golfe ait modifié les
rapports entre l'Occident et le monde arabe?
D. P.-J. - Non, pas vraiment. Comme le prouve l'issue de la guerre, les Occidentaux éprouvent toujours vis-à-vis des Arabes les mêmes sentiments troubles, de gêne et de culpabilité. Cependant, tout n'est pas négatif: la guerre a démontré l'immense supériorité occidentale, aussi bien sur le plan techno¬logique qu'en matière d'organisation sociale. Pour la première fois, les Arabes éprouvent un respect mêlé d'effroi envers les Occidentaux. Ils sont désormais conscients de leur faiblesse, et réfléchiront à deux fois avant de s'aventurer dans des conflits locaux.
B. A. - Cette prise de conscience ne s'accompagne-t-elle pas
d'un certain ressentiment, voire d'une volonté de revanche?
D. P.-J. - Revanche pour qui? Globalement, les pays arabes sont très satisfaits de la manière dont la guerre s'est terminée. N'oublions pas qu'avant le déclenchement du conflit Saddam Hussein. représentait une menace bien plus directe pour la Syrie, l'Egypte et l'Arabie saoudite que pour les pays occiden¬taux. S'il avait poussé ses troupes jusqu'à Riyad, il aurait été beaucoup plus difficile de le combattre. Saddam Hussein a d'ailleurs commis là une erreur tactique: s'il voulait garder le Koweït, il fallait qu'il s'assure une position de force en enva¬hissant l'Arabie saoudite. Il a pris trop ou pas assez.



B. A. - Mais permettez-moi d'insister: les Arabes ne ressen¬tent-ils pas, tout de même, une légère amertume face à la défaite retentissante d'un des leurs?
D. P.-J. - Cette rancœur - si elle existe - n'est pas très profonde. L'important, encore une fois, est que la guerre du Golfe a rèvélé au grand jour, et de manière irréversible, l'étendue du fossé entre le discours arabe et la réalité.
B. A. - Que voulez-vous dire exactement?
D. P.-J. - Je m'explique. Dans la culture arabe, il faut tou¬jours paraître le plus fort sous peine de perdre la face. D'où les difficultés qu'éprouvent les Arabes à évaluer correctement leur propre puissance. D'où aussi cette incroyable rhétorique, telle¬ment étrangère à nos cadres de pensée occidentaux, qui nous incite à les considérer, sinon comme des déments, du moins comme des êtres irrationnels. En fait, ce discours arabe est lié à une dialectique de l'honneur et de l'humiliation qui occupe une place centrale dans leurs mentalités. Tout au long de la guerre, Sadd am Hussein a tenu ce genre de langage. Pour nous, des expressions telles que: «Vous, glorieux Irakiens », « Bush est un menteur », etc., relevaient du non-sens, puisque, même dans nos déclarations politiques, nous essayons toujours de coller à la réalité.
B. A. - Pourriez-vous citer d'autres exemples de malentendus
entre les Arabes et les Occidentaux?
D. P.-J. - Je pourrais vous en donner d'innombrables! Nous avons une fâcheuse tendance à tout voir à travers notre propre système de valeurs. Le simple fait que nous ayons pu croire qu'un homme aussi calculateur et aussi ambitieux que Saddam Hussein était fou montre à quel point l'opinion de nos interlo¬cuteurs nous indiffère. De son côté, Saddam s'imaginait avoir tout prévu. Mais il a mal anticipé nos réactions. Il n'a pas réalisé, notamment, qu'en prenant des otages, il provoquerait notre colère; il n'a pas compris, non plus, qu'il ne suffirait pas de les relâcher pour nous apaiser. Les Arabes souffrent de ce que j'appellerai un «islamocentrisme », qui les empêche de nous comprendre et de traiter avec nous. Deux autres exemples me viennent à l'esprit: fin mai 1967, au moment où son pays était très affaibli, Nasser a déclaré que si les Israéliens vou¬laient attaquer, ils étaient les bienvenus! Pour le chef de l'Etat égyptien, ce n'était qu'une formule; pour les Israéliens, en revanche, il s'agissait d'une provocation directe à laquelle ils ne pouvaient rester insensibles. De la même façon, la condamna¬tion de Salman Rushdie constituait pour l'Occident une atteinte intolérable à la liberté d'expression; alors que les musulmans, eux, souhaitaient simplement nous donner une leçon ...
B. A. - Autrefois, François ï« traitait d'égal à égal avec le sultan de l'Empire ottoman, sans se soucier des barrières religieuses. Pourquoi de telles relations ne sont-elles plus en visageables ?
D. P.-J. - Les Arabes ont perdu à la fois leur puissance et leur honneur lorsque leurs terres ont été occupées par des étrangers chrétiens. Pour laver cette humiliation, ils cherchent depuis lors à nous entraîner, contre notre gré, dans un rapport de forces dont ils n'imaginent pas qu'il pourrait tourner en leur défaveur. Ce malentendu se retrouve à tous les niveaux, du chef de gouvernement jusqu'au vendeur de tapis.


B. A. - Comment y remédier?


D. P.-J. - Encore une fois, nous devons nous efforcer de nous mettre à la place de nos interlocuteurs arabes. Il faut se rappeler qu'ils se sentent inférieurs, et qu'ils cherchent à se mettre à notre niveau par tous les moyens, y compris par la force. Ce qui explique qu'il faille tant de temps et d'efforts pour se faire des amis arabes. Lorsque vous avez noué une amitié avec un Arabe, vous devez sans cesse ménager sa sensibilité et donner constamment de nouvelles preuves de votre affection.
B. A. - En vous écoutant parler des relations entre Occiden¬taux et Arabes, on a l'impression que les règles du jeu n'ont pas varié depuis des siècles ...
D. P.-J. - Il n'y aura de nouvelles règles du jeu que lorsque les leaders arabes commenceront à s'interroger sur la nature du pouvoir dans leurs sociétés. Je pense qu'il arrivera un jour où un dirigeant arabe se dira: « J'ai le pouvoir non pas pour l'exercer dans mon seul intérêt mais pour le partager avec mon peuple selon des principes de justice et d'égalité. » Il existe un précédent: Atatürk. Bien sûr, la démocratie turque est loin d'être parfaite, mais elle a le mérite d'exister. La question est de savoir si les États arabes sont suffisamment intégrés dans le système international pour emprunter le même chemin.


B. A. - Perçoit-on déjà les premiers signes de cette évolution? D. P.-J. - Faiblement peut-être, en particulier au Koweït où l'émir Jaber a promis des élections pour la fin de 1992, et en Algérie, où elles devraient finalement avoir lieu vers la fin de cette année. Quant à la Jordanie, dont la Constitution avait été suspendue par le roi Hussein en 1967, elle possède un Parlement élu depuis novembre 1989. Sur 84 députés, on compte 34 fondamentalistes. Tous les ministres sont encore bien sûr nommés par le roi, mais au moins ils peuvent être palestiniens. Apparemment, certains dirigeants arabes ont pris la mesure des ravages causés par le despotisme ... B. A. - L'opinion publique de ces pays en est-elle également persuadée?
D. P.-J. - Personnellement, je n'ai pas encore rencontré un seul Arabe qui ne soit conscient de l'échec du nationalisme dans son pays et qui ne soit convaincu de la nécessité de la démocratie. J'ai parlé, récemment, à un pêcheur sur les rives du Nil à qui j'ai demandé ce qu'il pensait de Nasser. Il m'a répondu d'un geste du revers de la main: un mépris total se lisait sur son visage. En Égypte, tout le monde a bien vu que Nasser avait gaspillé des richesses et des vies humaines dans des aventures vouées à l'échec, dont il espérait tirer une gloire éphémère. Il a ramené l'Égypte cent ans en arrière. Tout comme Saddam a fait reculer l'Irak d'un grand nombre d'années. Le scénario est toujours identique. Tant que les peuples n'auront pas réfléchi à la manière dont il convient de partager le pouvoir dans leur pays, ces tragédies à répétition continueront à plonger le monde arabe dans la désolation.
B. A. - Quel est, selon vous, de tous les dirigeants arabes, celui qui est le plus apte à conduire son pays vers la démocratie?
D. P.-J. - Probablement le président Moubarak. Avant lui, Sadate, déjà, avait compris que son peuple était capable, à condition que ses dirigeants lui en donnent les moyens, d'enga¬ger le pays sur la voie de la prospérité et de la modernité. Sadate, cependant, s'est souvent trompé, et il était corrompu. Moubarak, lui, vise des objectifs moins ambitieux mais plus réalistes, compte tenu des difficultés gigantesques dans les¬quelles l'Égypte se débat.



B. A.- Quelles sont ces difficultés?
D. P.-J. - L'Egypte est au bord du precipice. Un million d'Égyptiens naissent chaque année tandis que la superficie des terres cultivables ne cesse de diminuer. On en est aujourd'hui à environ 700 rn? par habitant. Moubarak est très conscient de ce problème. La dialectique de l'humiliation ou les aventures extra-territoriales ne l'intéressent pas. Une question le préoc¬cupe vraiment: «Comment nourrir les Egyptiens?» C'est, à mon avis, l'un des rares dirigeants arabes qui aime vraiment son pays.
B. A. - Mais en quoi fait-il progresser la cause de la démocratie?
D. P.-J. - Moubarak comprend qu'il est indispensable, pour assurer la survie de l'Égypte, de mobiliser toutes les énergies. Et. plus la société sera homogène, soudée autour d'un idéal, plus il sera aisé d'y installer un régime démocratique. La seule minorité du pays - les Coptes - manifeste un fort désir d'intégration, sans doute en raison de la peur que lui inspire le fondamentalisme islamique. S'il y ,a un pays arabe où la démocratie est possible, c'est bien l'Egypte. Et j'espère qu'elle servira d'exemple à ses voisins.
B. A. - Comment voyez-vous l'avenir de l'actuel régime iranien?
D. P.-J. - En Iran, l'heure est au désenchantement. Tout comme le baassisme en Irak ou en Syrie, le fondamentalisme islamique est davantage un instrument de pouvoir qu'une idéologie. Rafsandjani est très rusé. Il est en train d'éliminer, ou du moins de neutraliser, l'ensemble des radicaux. C'est néanmoins une preuve de faiblesse de sa part que d'avoir commandité l'assassinat de Chapour Bakhtiar. Au point où la révolution islamique est arrivée, une solution militaire n'est pas exclue. Il existe probablement dans le pays, à l'instant où je vous parle, un jeune officier, dont nous n'avons jamais entendu parler, assis à son bureau, occupé à faire des plans pour s'emparer du pouvoir. Dans cinq ou dix ans, il dira: « Cela ne peut plus durer, l'Iran est trop riche pour supporter plus longtemps un tel chaos. Je vais remettre les choses en ordre. » Et il le fera.
B. A. - Et la Syrie? Pensez-vous qu'elle accédera un jour à la démocratie?



D. P.-J. - Ne nous y trompons pas. Assad est de la même trempe que Saddam Hussein. Lui aussi est à la merci d'une déstabilisation intérieure. Des dizaines de milliers d'opposants sont en exil et les sunnites de Syrie attendent avec impatience le jour de leur revanche. Le régime ne tient debout que grâce à l'extrême rigidité de l'appareil politique.
Assad croit encore en un ordre traditionnel arabe fondé sur la force. Il est sans doute le dernier chef d'État arabe qui se débarrasse de ses rivaux en les incarcérant, comme Nur al Atasi (1), ou en les assassinant purement et simplement, comme Salah Bitar. Il est en train de faire du Liban une province syrienne, tout comme Saddam Hussein voulait faire du Koweït une province irakienne. C'est, au fond, un individu rétrograde et dangereux.
Sur le plan stratégique, la visite de Mikhaïl Gorbatchev en Syrie en 1988 a représenté un tournant important. Lorsque Assad a compris que l'Union soviétique n'était plus en mesure de répondre à ses exigences en matière militaire, il a dû, bon gré mal gré, renoncer à la course aux armements avec Israël. Ce qui ne l'a pas empêché, aussitôt après la guerre du Golfe, d'acheter de nouvelles armes, y compris des missiles, à la Corée du Nord, et cela grâce aux 2 milliards de dollars reçus de l'Arabie saoudite (2)!
B. A.- Si l'on suit votre raisonnement, la Syrie constitue donc désormais la principale menace pour les Etats de la région ...
D. P.-J. - Sans aucun doute. Le président Assad apparaît comme le grand vainqueur de la guerre du Golfe. Puisque les Américains n'ont pas réussi à instaurer un ordre mondial selon leurs vœux, c'est à nouveau l'ordre traditionnel qui prévaut. Après l'Iran dans les années 70, et l'Irak dans les années 80, c'est la Syrie que les Occidentaux ont montée en épingle. Nous devons nous y attendre: un beau jour, nous serons directement confrontés au problème. Alors que ce pays nous défie depuis quarante ans, nous l'avons laissé absorber le Liban sans réagir. A l'heure qu'il est, Assad a toutes les raisons d'être satisfait. Cela dit, il ne faut pas oublier que la Syrie est deux fois moins peuplée que l'Irak, qu'elle ne possède aucune ressource pétro¬lière et que son économie est à bout de souffle ...
B. A. - La Syrie a accepté de participer au processus de paix amorcé par les Américains. Serait-elle devenue, aux yeux des Etats- Unis et d'Israël, un partenaire fiable?



D. P.-J. - Ne nous y trompons pas. Assad est de la même trempe que Saddam Hussein. Lui aussi est à la merci d'une déstabilisation intérieure. Des dizaines de milliers d'opposants sont en exil et les sunnites de Syrie attendent avec impatience le jour de leur revanche. Le régime ne tient debout que grâce à l'extrême rigidité de l'appareil politique.
Assad croit encore en un ordre traditionnel arabe fondé sur la force. Il est sans doute le dernier chef d'État arabe qui se débarrasse de ses rivaux en les incarcérant, comme Nur al Atasi (1), ou en les assassinant purement et simplement, comme Salah Bitar. Il est en train de faire du Liban une province syrienne, tout comme Saddam Hussein voulait faire du Koweït une province irakienne. C'est, au fond, un individu rétrograde et dangereux.
Sur le plan stratégique, la visite de Mikhaïl Gorbatchev en Syrie en 1988 a représenté un tournant important. Lorsque Assad a compris que l'Union soviétique n'était plus en mesure de répondre à ses exigences en matière militaire, il a dû, bon gré mal gré, renoncer à la course aux armements avec Israël. Ce qui ne l'a pas empêché, aussitôt après la guerre du Golfe, d'acheter de nouvelles armes, y compris des missiles, à la Corée du Nord, et cela grâce aux 2 milliards de dollars reçus de l'Arabie saoudite (2)!
B. A.- Si l'on suit votre raisonnement, la Syrie constitue donc désormais la principale menace pour les Etats de la région ...
D. P.-J. - Sans aucun doute. Le président Assad apparaît comme le grand vainqueur de la guerre du Golfe. Puisque les Américains n'ont pas réussi à instaurer un ordre mondial selon leurs vœux, c'est à nouveau l'ordre traditionnel qui prévaut. Après l'Iran dans les années 70, et l'Irak dans les années 80, c'est la Syrie que les Occidentaux ont montée en épingle. Nous devons nous y attendre: un beau jour, nous serons directement confrontés au problème. Alors que ce pays nous défie depuis quarante ans, nous l'avons laissé absorber le Liban sans réagir. A l'heure qu'il est, Assad a toutes les raisons d'être satisfait. Cela dit, il ne faut pas oublier que la Syrie est deux fois moins peuplée que l'Irak, qu'elle ne possède aucune ressource pétro¬lière et que son économie est à bout de souffle ...
B. A. - La Syrie a accepté de participer au processus de paix amorcé par les Américains. Serait-elle devenue, aux yeux des Etats- Unis et d'Israël, un partenaire fiable?



D. P.-J. - Si Assad voit son intérêt dans un accord avec Israël, il le signera sans hésiter. Par le passé, il a montré avec quelle habileté il pouvait changer de camp. Il est beaucoup plus ouvert à notre façon de penser occidentale que ne l'était Sadd am Hussein. De plus, il faut lui reconnaître au moins une qualité: il n'est jamais revenu sur l'un de ses engagements. Il s'est toujours montré très respectueux du tracé des frontières, notamment celui de la « Ligne rouge» (3), qu'il s'est bien gardé de franchir. En dépit de l'hostilité évidente qu'il nourrit à notre égard, Assad est, jusqu'à présent, très attentif à ne rien faire qui pourrait susciter une réaction incontrôlée des Occidentaux.

B. A. - En 1973, pourtant, sa conduite n'a pas été aussi exemplaire...
D. P.-J. - Il nous a abusés dans la mesure où il a attaqué par surprise. Mais il s'agissait d'une tactique de guerre. Avec lui, on sait au moins à quoi s'en tenir.
B. A. - La conférence internationale sur le Moyen-Orient débouchera-t-elle, à votre avis, sur une paix définitive dans la région?
D. P.-J. - Tout le monde, en Israël comme dans les pays arabes, veut la paix. La question est de savoir dans quels termes et à quel prix. Nous sommes habitués, en démocratie, à évoluer dans un système où, lorsqu'un différend surgit, les deux parties concernées s'asseoient autour d'une table pour négocier un compromis. L'une dit « sept », l'autre « cinq» et elles tombent finalement d'accord pour dire « six chacun ». Dans les mentalités arabes, au contraire, si je dis «sept» et vous « cinq », et si je suis le plus fort, j'obtiendrai douze et vous rien, même si vous êtes dans votre droit.
Les Israéliens demandent aux Arabes ce qu'ils ne pourront jamais leur accorder, car pour eux les mots «conférence internationale» ou « négociations» ne sont que de doux euphémismes: s'ils ont accepté d'y participer, c'est uniquement parce qu'ils sont persuadés qu'ils obtiendront exactement ce qu'ils veulent.
B. A. - Les Arabes ne sont-ils donc pas capables de respecter un traité?
D. P.-J. - Ils le sont. Mais le problème, c'est qu'ils ne sont gas suffisamment familiarisés avec les procédures démocrati¬ques pour admettre qu'un traité, signé en bonne et due forme, doit être respecté. Ils ont tendance à l'interpréter à leur gré. A supposer qu'Israël, l'OLP et la Jordanie s'entendent sur des frontières communes, il ne pourra s'agir que de frontières tribales, très imprécises par nature. Les Arabes se sentiront autorisés, à tout moment, à en contester la validité. Il s'en trouvera toujours un pour remarquer: « Mon grand-père utili¬sait ce terrain et ce puits, pourquoi pas moi? » Même si le tracé fait l'objet d'un accord, un pays arabe peut parfaitement le remettre en cause, au nom de droits ancestraux.
B. A. - N'y a-t-il donc aucun pays voisin avec lequel Israël pourrait conclure une paix durable?
D. P.-J: - Il n'existe, à ce jour, aucun contentieux territorial entre l'Egypte et Israël (4).
B. A. - Et entre Israël et la Syrie?
D. P.-J. - La Syrie prétend que la Palestine faisait partie de la Grande Syrie. Sous l'Empire ottoman, la région était divisée en provinces - les vilayets - qui recouvraient l'actuel terri¬toire de la Syrie, du Liban, d'Israël, de la Jordanie et du sandjak d'Alexandrette (5). La Syrie revendique la totalité de ces terres et tente de justifier son occupation du Liban par des motifs historiques.
Cela dit, je pense qu'Israël aurait tout intérêt à conclure un traité avec la Syrie, qui lui permettrait de garantir sa frontière nord. Un Golan démilitarisé pourrait servir de zone tampon. Il ne lui resterait plus qu'à s'occuper de sa frontière-est, - ce qui ne sera pas le plus facile, il est vrai ...
B. A. - D'une façon générale, comment jugez-vous l'attitude des Arabes vis-à-vis des Israéliens?
D. P.-J. - Pour des raisons à la fois historiques et psycholo¬giques, les Juifs sont considérés dans le monde musulman comme des citoyens de deuxième ordre, des « B. A. - Les relations entre les Arabes et les Palestiniens se sont-elles détériorées depuis la guerre du Golfe?
D. P.-J. - S'agissant des Palestiniens, on oublie toujours d'évoquer un aspect fondamental: la honte qui les poursuit depuis 1948. Les Arabes les méprisent parce que, au moment de la naissance d'Israël, ils ont abandonné leur pays sans combattre. Malgré les apparences, ils éprouvent peu de sympa¬thie pour eux. Pis encore: en se laissant humilier depuis tant d'années par des Juifs, créatures honteuses à leurs yeux, ils ne font qu'aggraver leur cas.
Tous les pays arabes ont la même attitude: ils affirment publiquement leur volonté d'aider les Palestiniens, mais lorsqu'il s'agit de passer aux actes, ils se dérobent. Les Saou¬diens veulent se débarrasser d'eux; les Koweïtiens sont en train
. de les déplacer de force; ils n'ont aucun avenir en Irak, et encore moins en Syrie. Si les Syriens sont ceux qui ont le plus profité de la guerre, les Palestiniens sont ceux qui y ont le plus laissé de plumes. Ils ont estimé, bien à tort, que Saddam Hussein ferait quelque chose pour eux, et que même s'il était battu il mettrait au moins la cause palestinienne à l'ordre du jour. Avant la guerre, les Palestiniens étaient très bien intégrés au Koweït; beaucoup y tenaient des commerces. Il y avait une vie intellectuelle, des enseignants dans les universités. Aujourd'hui, ils ont tout perdu: même le soutien d'une grande partie de l'opinion publique internationale leur fait défaut. L'Intifada, désormais privée de justification morale ou mili¬taire, s'essouffle peu à peu. Les Palestiniens sont au bout du rouleau.

B. A. - Que leur conseilleriez-vous?


D. P.-J. - Il leur faut au plus vite changer de dirigeants. Ce qui n'ira pas sans mal car, bien qu'elle se soit montrée au-dessous de tout, et qu'elle ait conduit le peuple palestinien dans une impasse, la vieille garde s'accroche au pouvoir.

B. A. - En regardant les choses de haut, quels sont les grands clivages qui parcourent le monde arabe?

D. P.-J. - Le plus important est d'ordre religieux: il oppose les sunnites aux chiites. Trop de sang a été versé de part et d'autre pour qu'une réconciliation soit possible. Certains parti¬cularismes ethniques - les Kurdes, les Berbères, - ou reli¬gieux - les chrétiens, les druzes, les alaouites - sont égale¬ment sources de tensions. Au Moyen-Orient, il faudra du temps pour que les gens cessent de penser leur identité en termes de secte. Si vous demandez à un Arabe ce qu'il est, il vous dira qu'il est sunnite ou druze, et non qu'il est irakien ou algérien. On constate cependant un début d'évolution.
B. A. - Les choses peuvent donc changer ...

D. P.-J. - Dès l'instant où des institutions démocratiques seront créées, l'identité nationale suivra. Les Arabes finiront par admettre que les « impérialistes» n'ont pas fait un si mauvais travail en découpant les frontières. La partie sera alors gagnée.

B. A. - Rétrospectivement, quelle est la plus grande erreur que
l'Occident ait commise vis-à-vis du monde arabe?

D. P.-J. - Notre erreur la plus lourde de conséquences a sans aucun doute été notre mauvaise lecture du nationalisme arabe. Au nom du droit à l'autodétermination des peuples, nous avons laissé les mains libres aux Arabes. Mais ce que nous avions pris pour des mouvements nationalistes n'étaient en réalité que des explosions de violence visant à porter au pouvoir un homme providentiel. Lorsque nous avons vu ces foules dans les rues, nous avons pensé qu'elles exprimaient l'opinion du peuple. Nous n'avions pas compris que ce « nationalisme arabe» n'était rien d'autre qu'une version actualisée du totalitarisme. Il ne s'agissait pas de donner « l'Égypte aUJj- Égyptiens» ou « l'Algérie aux Algériens », mais plutôt l'Egypte à Nasser, l'Algérie à Boumediene ou à Ben Bella ... Notre aveuglement nous a coûté cher.

Dès qu'ils ont pris le pouvoir, ces dirigeants absolutistes ont détruit leur société, liquidé les rudiments de vie parlementaire que nous avions créés, détruit les balbutiements de plura¬lisme dont nous avions favorisé l'éclosion. Alors que nous croyions bien faire en accordant l'indépendance aux peuples arabes, nous les avons en fait remis entre les mains de tyrans, à qui nous avons donné notre absolution en toute bonne conscience. Voilà la cause fondamentale des maux qui frap¬pent, aujourd'hui encore, les nations arabes et l'Occident.
Notre faute majeure a consisté à partir sans laisser derrière nous de véritables structures de remplacement. Le colonialisme devait cesser - nous sommes tous d'accord là-dessus - mais au profit des masses arabes, non pas de despotes locaux.
B. A. - Paradoxalement, la fin de l'ère coloniale a donc fait
naître de profonds ressentiments ...

D. P.-J. - Exactement. Les Arabes nous accusent, à juste titre, de ne pas répondre à leur appel quand ils ont besoin de nous. Lorsque les Irakiens nous supplient de les libérer de leur tyran, nous ne faisons rien! C'est un exemple supplémentaire de l'incohérence qui caractérise la politique occidentale depuis un demi-siècle.

B. A. - Libérer les masses arabes des tyrans qui les asservis¬sent est sans doute une bonne chose. Mais est-ce suffisant, dans la mesure où ces pays demeurent déchirés par de multiples conflits intérieurs?

D. P.-J. - C'est effectivement ce que Washington doit pen¬ser, puisque Saddam est toujours là. Pour ma part, je me refuse à croire que le seul moyen de gouverner ces pays soit d'oppri¬mer les gens pour les soumettre, puis de les corrompre pour les maintenir en place. Il faut qu'ils trouvent le chemin qui mène au pluralisme.

B. A. - Tournons-nous maintenant vers l'avenir. Quelle ligne de conduite les nations occidentales doivent-elles se fixer pour ne pas renouveler leurs maladresses d'hier?

D. P.-J. - L'important est d'éviter toute ambiguïté. Un diri¬geant occidental ne doit écouter que son intérêt. S'il juge qu'une intervention est nécessaire et que l'enjeu en vaut la chandelle, il doit: premièrement, déclarer son intention; deuxièmement, faute de réaction de l'adversaire, mettre toutes ses forces au service de l'objectif. Les Arabes penseront: « Il avait dit qu'il le ferait, il l'a fait.» Il n'y aura alors aucune confusion dans leur esprit. Vous serez honoré, puisque vous aurez tenu parole, protégé vos amis et défendu vos intérêts. Au contraire, si vous faites les choses à moitié ou, pis, si vous battez en retraite pour une raison quelconque, ils vous méprise¬ront. L'expédition de Suez, en 1956, fournit un bon exemple d'erreur à ne pas commettre: après avoir obtenu une victoire militaire, les Britanniques et les Français ont laissé aux Arabes la victoire politique. Résultat: pendant des années, les Arabes nous ont couverts d'opprobre. Même chose en 1983, lorsque Ronald Reagan a envoyé des fusiliers marins au Liban et qu'il les a rapatriés après l'attentat qui a coûté la vie à 241 d'entre eux. Ce jour-là, l'Amérique s'est ridiculisée aux yeux des Arabes.
B. A. - Quelles devraient être, à votre avis, les nouvelles priorités de l'Occident au Moyen-Orient?

D. P.-J. - D'un point de vue de pure Realpolitik, la vérité m'oblige à dire que, depuis la fin de la guerre froide, le Moyen-Orient ne représente plus pour l'Occident un enjeu aussi vital. A une certaine époque, aux alentours de 1958, l'Union soviétique menaçait de prendre le contrôle des pays arabes. A présent, à la suite de l'effondrement de l'empire soviétique, le conflit israélo-palestinien est devenu un conflit local. Désormais dépourvue de valeur stratégique, la région présente surtout un attrait commercial et financier. Nous devons donc intervenir le moins possible dans les affaires des Arabes, même si cela doit les condamner, pour longtemps encore, à la violence, à la détresse et à la guerre. A moins, bien entendu, que nos intérêts fondamentaux ne soient en jeu, comme c'était le cas au Koweït. '

B. A. - Dans ces conditions, ne court-on pas le risque de voir
les pays arabes sombrer dans le marasme et la misère?

D. P.-J. - C'est un fait. Mais je ne vois pas comment nous pourrions les aider à faire en sorte qu'il en soit autrement. Si ce n'est, comme je vous l'ai dit, en cessant de soutenir les tyrans qui les gouvernent.

B. A. - Iriez-vous jusqu'à affirmer qu'en leur accordant une aide massive, l'Occident freinerait leur développement plus qu'if ne l'encouragerait?

D. P.-J. - Sans hésiter. La manière dont l'Arabie saoudite s'est tournée vers les États-Unis montre à quel point les Arabes considèrent leur propre faiblesse comme une fatalité. A long terme, ils n'y gagneront rien. Soit dit en passant, il ne s'agit pas d'un problème spécifique des Arabes. Il se pose à l'ensemble du tiers monde. Pourtant, j'ai la conviction que les Arabes sont capables de sauter le pas et j'espère qu'ils trouveront le moyen de le faire rapidement. C'est là notre seul espoir. Car s'ils échouent, il faut s'attendre à une catastrophe.
Pour le musulman de la rue, l'Occident est comme une terre promise, symbole de paix et de richesse. Bien que leur religion leur interdise d'aller vivre dans un pays non islamique, sans doute quelque 20 à 25 millions de musulmans ont émigré, depuis 1945, vers l'Europe - en France, en Angleterre, en Allemagne -, vers l'Amérique et même l'Australie.
Or l'Occident ne peut plus faire face à une immigration massive en provenance des pays arabes. Chaque jour, déjà, des clandestins sont refoulés.
B. A. -. Vous ne semblez pas particulièrement optimiste ...
D. P.-J. - Non, en effet. Je crains qu'en définitive les Arabes n'aient le choix qu'entre le despotisme et la guerre civile. Dans ce cas, il nous sera impossible de continuer à vivre confortable¬ment dans nos sociétés d'opulence pendant que le reste du monde sombrera dans le sang et l'anarchie. Pris en tenailles entre notre instinct humanitaire et la Realpolitik, peut-être serons-nous alors obligés d'aller mettre de l'ordre. Deux événe¬ments récents le laissent pressentir: l'intervention militaire au Koweït bien sûr, mais aussi les troubles au Mozambique - un État dominé par la toute-puissance économique d'une entre¬prise britannique, Lonhro, spécialisée dans l'irnport-export vers l'Afrique. Qui sait si, un jour, Lonhro ne demandera pas au gouvernement britannique de venir à son aide et d'occuper le Mozambique? ..
Il n'est pas exclu que, dans une centaine d'années, le colonialisme soit de nouveau à l'ordre du jour. Pour une raison simple: il n'y aura pas d'autre voie entre, d'un côté, le spectacle d'une petite partie du monde en pleine prospérité et, de l'autre, le déclin du reste de la planète. Exactement comme au XVIe siècle. J'ai souvent pensé que si l'on pouvait acheter des actions dans le domaine des idées, je prendrais une option à long terme sur le colonialisme. 


(I) Ancien président de la Syrie, déposé par Hafez el-Assad en 1970.
(2) La Syrie a obtenu 2 milliards de dollars de l'Arabie saoudite. Selon diverses sources, dont un article de l' [ndependent 0/1 Sunday de décembre 1990, la Corée du Nord et la Chine auraient vendu à la Syrie des missiles Scud d'une portée de 500 km. Damas possède, en outre, des armes chimiques et l'on sait qu'elle pratique des entraînements poussés dans le domaine de la guerre chimique. Cf. Analysis, mars 1991.
(3) Cette « Ligne fouge» résulte d'un accord tacite conclu entre la Syrie et Israël, au
lendemain de J'intervention syrienne au Liban en 1976.
(4) Il n'existe en effet, à l'heure actuelle, aucun contentieux territorial entre l'ancienne Palestine ottomane et l'Égypte. La bande de Gaza, qui faisait partie du mandat sur la Palestine, avait été conquise par l'Egypte en 1941; mais cette conquête n'avait jamais été reconnue par la communauté internationale. La petite enclave de Taba, que se disputaient l'Égypte et Israël, avait un statut incertain depuis le traité angle-turc de 1906. Le différend a été tranché il y a deux ans en faveur de l'Egypte. (5) A la veille de la Seconde Guerre mondiale, la France a décidé que ce territoire situé au bord de la Méditerranée devait revenir à la Turquie.
(6) Bien qu'ils soient majoritaires en Syrie, les sunnites subissent l'oppression de la minorité alaouite au pouvoir.


par Brigitte Ades Brigitte Panah-Izadi

 
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